Faye-Sonko : ne pas trahir le pacte sénégalais (Par Abdoulaye Sankara)
Un an après leur victoire éclatante contre l’ancien régime, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko font face à leur plus grand défi : préserver leur unité. Entre tensions croissantes, divergences de méthode et pressions internes comme externes, les deux hommes sont appelés à dépasser les frictions pour ne pas trahir l’élan populaire qui les a portés au pouvoir. Car au-delà du Sénégal, c’est toute une espérance panafricaine qui se joue.
Le Sénégal vit une séquence politique aussi prometteuse que périlleuse. Ce pays, longtemps perçu comme un îlot de stabilité dans un océan d’instabilité régionale, est aujourd’hui le théâtre d’une tension croissante entre ses deux plus hauts responsables, Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. Alliés d’hier, compagnons de lutte, figures de proue d’un espoir de rupture né dans les geôles de Rebeuss, les deux hommes voient aujourd’hui leur tandem fragilisé par une accumulation de crispations que certains, dans l’ombre, s’emploient à exacerber.
À l’origine de cette dysharmonie, une ligne de fracture de plus en plus visible sur la conduite du pouvoir et l’équilibre des rôles au sommet de l’exécutif. D’un côté, un président discret, méthodique, soucieux d’incarner une fonction au-dessus de la mêlée ; de l’autre, un Premier ministre charismatique, frontal, impétueux parfois, mais animé par la même ambition de souveraineté populaire. Leur différence de style, de tempo, voire de vision stratégique, alimente désormais les commentaires et les inquiétudes.
Certains y voient une résurgence des vieux démons de la politique sénégalaise. L’histoire retiendra que les grandes crises institutionnelles du pays sont souvent nées des rivalités au sommet, lorsque la loyauté personnelle cède la place aux ambitions divergentes. Et si les comparaisons avec les déboires passés sont parfois exagérées, elles n’en disent pas moins quelque chose sur l’instabilité possible d’un pouvoir bicéphale non maîtrisé.
Mais les vraies menaces ne sont pas là. Elles se nichent dans les manœuvres d’anciens clans aujourd’hui marginalisés, qui voient dans cette fissure naissante l’opportunité de reprendre la main. Dans les murmures d’une certaine presse qui rêve d’un duel fratricide. Et plus insidieusement encore, dans les agendas d’une puissance étrangère, la France en l’occurrence, dont le rôle économique et diplomatique au Sénégal a été largement bousculé par la ligne panafricaniste du nouveau régime. À Paris, on observe, on attend, et parfois, on attise.
C’est pourquoi Diomaye Faye et Ousmane Sonko n’ont pas le luxe de se diviser. Le pacte qui les unit est bien plus qu’un accord politique, il est la matrice d’un contrat populaire passé avec les Sénégalais, ceux-là mêmes qui ont refusé la continuité avec Macky Sall. Rompre cette dynamique, céder à l’ego ou aux calculs personnels, ce serait trahir ce souffle inédit. Pire encore, ce serait livrer le projet de refondation à ceux qui n’en ont jamais voulu.
Car ce qui les lie dépasse de loin ce qui pourrait les opposer. Tous deux incarnent une vision du Sénégal affranchi des pesanteurs néocoloniales, aspirant à une souveraineté monétaire, judiciaire, économique et culturelle. Tous deux savent que leur réussite dépend de leur capacité à gouverner ensemble, à incarner un leadership complémentaire, équilibré, solidaire, sans confusion mais sans rupture.
Le temps presse. Les défis sont nombreux : inflation persistante, attentes sociales immenses, partenaires extérieurs nerveux. Le peuple sénégalais, lui, observe. Il ne demande ni miracle ni perfection, mais cohérence, courage et fidélité à la promesse d’alternance.
Plus que jamais, l’heure n’est pas à la querelle, mais à la maturité. Ce que l’Afrique attend du Sénégal, c’est une démonstration de souveraineté assumée et d’unité stratégique. Ce que l’histoire attend de Faye et Sonko, c’est qu’ils se souviennent d’où ils viennent, pourquoi ils ont été portés ensemble au pouvoir, et ce qu’ils ont juré de transformer. La révolution n’a pas besoin de deux chefs. Elle a besoin d’un horizon clair. Et d’un cap commun.
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